Les auteurs du projet incluant la métropole Marseille dans la loi de décentralisation, comme d’ailleurs ceux de la loi n°2010-1563 du 16 décembre 2010, ont vraisemblablement consulté des géographes pour définir ce qu’ils entendaient par métropole : les spécialistes de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire, pour peu qu’ils intègrent la notion de développement équilibré dans leurs réflexions, ne conçoivent pas de métropole, sans un certain nombre de fonctions acquises pour cet ensemble aggloméré. Il s’agit de fonctions administratives, sociales, économiques, financières, logistiques, universitaires, culturelles actives pour lesquelles existent des centres de décision « locaux » réels.

Sinon, il ne s’agit pas d’une métropole de plein exercice mais comme le rappelle le site du ministère de l’Intérieur « d’un nouvel outil de gouvernance des grandes aires urbaines de plus de 500 000 habitants ».

La différence entre les deux peut échapper au lecteur pressé, mais dans un cas il s’agit d’une construction historique efficace, produit d’une évolution sociale collective, dans l’autre d’un projet technocratique, dans la ligne de la RGPP et de son avatar actuel, la MAP, les deux directement inspirées du public new management. Ce concept, comme son nom l’indique, est le produit des idées dominantes néo-libérales anglo-saxonnes, fondées sur une culture du résultat, pour laquelle la satisfaction des besoins publics et de l’intérêt général est seconde par rapport à une politique de l’offre, décrétée nécessaire.

La métropole dans ce cas est un Etablissement public de coopération intercommunal (EPIC) mais pour les villes phares porteuses de l’image de la France qu’il s’agit, dit- on, de valoriser, la loi a un peu compliqué les choses. Pour Marseille, la situation apparaît bloquée :107 maires sur 119 se sont opposés à sa mise en place.

L’essentiel et l’accessoire

La nouvelle étape de décentralisation prétend s‘inscrire dans la continuité des lois Joxe ( février 1992), Chevènement ( juillet 1999) et Raffarin (août 2004) avec l’obligation pour chaque commune d’adhérer à un EPIC et l’affirmation que la métropole devait permettre d’améliorer et de renforcer la compétitivité, la cohésion et les solidarités sur son territoire. Autrement dit, le seul souci réel est une recherche de pilotage central effectif.

Ce qui permet de douter de la « bonne volonté », au sens philosophique du terme, des législateurs du moment, c’est que le PM a annoncé un Paris métropole dont les seuls projets connus sont des projets d’infrastructures onéreuses sans que l’urbanisme dédié aux habitants en tant que résidents (services publics, logement, équipements sportifs et culturels) soient intégrés à un projet global. Une métropole n’est pas qu’un agrégat ou un empilement de bureaux et de salariés ou une structure polysynodale convoquant à intervalles réguliers les présidents des intercommunalités regroupées, des départements et de la région.

De telles structures ne fonctionnent pas ou laissent la réalité du pouvoir à la technostructure. Au demeurant, l’importance de la population concernée par cette nouvelle « gouvernance » par rapport au reste de la région indique bien que loin de rationaliser la structure administrative du pays, car dans une république une et indivisible, dont l’administration (cf. le texte de la Constitution) est décentralisée, c’est de cela et de cela seulement qu’il doit s’agir, on en sera réduit soit à maintenir des étages vidés de compétences mais pas d’élus ou de personnel, soit à continuer dans le double emploi même si l’une des structures devient, comme le prévoit le projet de loi, « l’autorité organisatrice » pour tel ou tel champ d’intervention..

La dénonciation du mille-feuilles des collectivité territoriales aurait pu se concrétiser par une refondation de la carte des territoires : l’absence présumée de consensus dans des assemblées remplies d’élus cumulant les mandats, les ambitions contradictoires desdits élus, partisans pour certains d’une quasi-fédéralisation (autonomie fiscale, contractualisation avec l’Etat, principe de subsidiarité invoqué pour gérer des fonds structurels européens…) et pour d’autres, d’un pilotage stratégique central de la France, analysée comme une puissance moyenne sans autonomie par rapport à l’UE, a rendu l’hypothèse de l’élection d’une assemblée constituante caduque.

Or chargée de faire des propositions sur ces points précis et afin d’éviter tout blocage en vue de l’approbation par 3 / 5e des élus requise dans une réunion en Congrès pour une modification constitutionnelle, seule cette assemblée eût pu être légitime, dès lors qu’il s’agissait de remettre en cause la structure multi- séculaire du territoire national.

Que reste-t-il donc pour les citoyens et les salariés ?

Malgré des promesses réitérées, il est difficile d’imaginer qu’au moment où la pression intra-européenne s’exerce fortement pour obtenir du gouvernement français une diminution de la dépense publique, une rationalisation de la « gouvernance » se traduise par des créations d’emplois nettes ou par des garanties statutaires renouvelées au personnel précaire de CT.

On peut tout aussi bien trouver paradoxal, alors que la notion de planification a disparu des problématiques publiques, que celle d’aménagement du territoire relève plus d’une thématique de communication que d’une programmation ordonnée de développement durable ( il suffit de songer à l’histoire de la gestion du frêt par la SNCF, à l’abandon de milliers de km de voies ferrées, à la surcharge autoroutière en poids-lourds…), le Grenelle de l’environnement n’est qu’un catalogue sans priorités, on ait par une démarche strictement technocratique réintroduit celle de structures structurantes à propos des métropoles : sans transferts de moyens massifs sous le contrôle de l’Etat, qui peut croire que les forces sociales qui n’ont pas su en deux siècles faire de Marseille une métropole au sens plein du terme, pourraient y parvenir grâce à un changement de la structure de gouvernance, les outils de coopération existant déjà ?

La mondialisation suppose au contraire d’une décentralisation dans la décision de la construction de réseaux, une coordination des projets de développement locaux intégrés à une problématique globale d’intérêt général du pays, lieu de la décision citoyenne, en principe. Dirons-nous pour conclure que si les conditions objectives pour faire de l’aire marseillaise au sens large une métropole au moins européenne, ne sont pas réunies, il est encore plus évident que Nice dispose encore moins des atouts nécessaires, au niveau par exemple des fonctions énumérées plus haut qui fondent une métropole tout court ?

Le projet de loi annoncé traduit davantage une persistance à vouloir avancer dans le brouillard sans boussole qu’un progrès dans l’approfondissement d’une réflexion démocratique sur le devenir du territoire national dans l’Union et les conditions de sa prospérité collective.