Laurent Davezies est professeur au CNAM, titulaire de la chaire « Economie et développement des territoires », ainsi qu’à Science-Po. Spécialiste des questions d’économie régionale et urbaine, il a publié La République et ses territoires. La circulation invisible des richesses (Seuil/La République des Idées, 2008).

Nous l’avons interrogé sur son dernier ouvrage : La crise qui vient, la nouvelle fracture territoriale, Seuil/La République des Idées, 2012.

Quelle la dimension territoriale de la crise ?

Dans ses effets mais aussi dans ses origines, la crise actuelle a une forte dimension territoriale. La récession de 2008-2009 a frappé fortement certains territoires et largement épargné d’autres. Ce sont les territoires qui étaient les plus en difficulté ces dernières années (et décennies) qui ont le plus souffert. En bonne prédatrice, la crise s’est attaquée aux plus faibles. En revanche, les territoires que l’on appelle aujourd’hui « métropolitains » ont été peu ou pas affectés. Dans le registre des causes territoriales de la crise, on peut penser que le décalage productif qui s’est creusé depuis 30 ans entre nos territoires et qui a été compensé par le biais de transfert de revenus publics et sociaux, a pesé lourd dans le creusement de la dette publique. Pour simplifier, on note ainsi que l’Ile de France génère aujourd’hui 30% du PIB français et ne bénéficie que de 22,5% du revenu des ménages… et l’inverse pour les régions de province. De nombreux territoires ont vu leur développement assuré sans qu’ils contribuent à la croissance. Au jeu des budgets publics et sociaux, on a ainsi assisté à d’énormes transferts redistributifs, entre une région Ile de France chroniquement excédentaire au jeu des budgets publics et sociaux et des territoires du reste du pays de plus en plus déficitaires… Ce jeu est aujourd’hui brutalement remis en cause.

Quelles sont les « quatre France » ?

Ce découpage bien sûr un peu grossier vise à montrer que face à une stabilisation ou une réduction de la dépense publique et sociale et dans un contexte de recherche de compétitivité, les territoires « marchands dynamiques », où vivent 40% de la population du pays seront et les moins affectés et les plus stratégiques et aptes à poursuivre les ajustements productifs. Ce sont, en gros, nos grandes villes. 40% de la population vit dans des territoires « non marchands dynamiques », vivant pour beaucoup des prestations sociales, du tourisme et de la dépense publique ; ils verront leur forte dynamique des années passées s’infléchir, mais garderont des atouts dans des domaines stratégiques comme le tourisme ou par une orientation plus productive de leurs stratégies de développement (par exemple, villes du littoral méditérannéen). Les deux autres France sont celles du Nord-Est du pays et du pourtour du Bassin Parisien. Très industrielles et manufacturières, elles ont pour l’une (« marchande en difficulté », 10% de la population) subi un choc important mais ont encore peut-être un potentiel de rebond, alors que dans l’autre (« non marchande en difficulté ») la désindustrialisation sans reconversion les met dans une situation de forte dépendance aux revenus sociaux très inquiétante pour l’avenir.

Comment concilier le « redressement productif » et une France « territorialement équitable » ?

Pour maintenir et relancer demain la machine solidaire qui a fait la France que nous connaissons, et qui est aujourd’hui au cœur de la crise de la dette, il faut d’abord de la croissance, et c’est dans les territoires « marchands dynamiques », qui sont les plus riches, qu’on la trouvera pour l’essentiel. Il faut donc accepter que pour maintenir et relancer la machine à égaliser, il faille préférer relancer ces territoires, plutôt que focaliser sur l’égalité des territoires. Et puis, ce qui compte, ce sont plus les gens que les territoires. A cet égard, il conviendrait d’examiner et de réduire les nombreux freins artificiels qui font obstacle à la mobilité résidentielle des actifs.