Pierre Toussenel était secrétaire général adjoint du SNES jusqu’en 2000. Il a pris une part très active au processus de fondation de la FSU. Il nous rappelle aussi comment la FSU fait le choix d’une fédération de syndicats nationaux, étroitement articulé à un fédéralisme démocratiquement élaboré.

De la FEN à la construction de la FSU
Pierre Toussenel



Secrétaire général adjoint du SNES jusqu’en 2000

Les débats dans la FEN opposaient en général les syndicats du second degré, du supérieur et de la recherche au SNI et aux syndicats dont il avait fait ses vassaux ou au moins ses obligés.

En excluant de la direction (bureau fédéral) tout syndicat dont les syndiqués avaient l’impudence de confier les responsabilités à d’autres que des membres de la « majorité » fédérale, la FEN et le SNI se sont progressivement coupés du réel.

En particulier, ils se sont mis dans l’incapacité de mesurer les évolutions des besoins de qualification tant des enseignants que de la jeunesse et de la société.

Dès lors, ils ont rapidement perdu toute crédibilité aux yeux des syndiqués de ces secteurs et poussé leurs syndicats à se fédérer de fait.

Le travail intersyndical, et de fait fédéral, s’est mis en place autour du SNES, du SNEP, du SNPEN (écoles normales) au grand désespoir du SNI, du SNESup, du SNCS, avec participation de UA-SNI en particulier sur la formation des maîtres.

Cela a renforcé les liens entre ces syndicats et étendu leurs champs de coopération.

L’enfermement de la direction fédérale dans une priorité, exclusivité à la « revalorisation du métier d’instituteur » opposée à toute revalorisation générale, a encore accru ce phénomène.

Cela a conduit ces syndicats et UA-SNI à prendre en charge les revendications abandonnées et parfois combattues par la direction fédérale. Cela leur valut l’accusation de FEN bis.

L’affrontement atteint son maximum en 1988-89.

A l’initiative du SNES, se construit le plus puissant mouvement enseignant depuis 1968 pour la revalorisation du métier d’enseignant.

Il s’agit de faire pièce aux décisions imposées au congrès FEN de La Rochelle qui visent à :
- redéfinir le métier d’enseignant (« travailler autrement » ) sur des bases explicitement opposées aux revendications des personnels concernés ;

- arrêter un projet de réforme des objectifs du système de formation présentant les mêmes défauts, mêmes errements et assorti d’un projet de mise sous tutelle fédérale de fait tous ceux qui ne plieraient pas.

Le mouvement de 1988-89 bouscule ces « beaux » projets.

Le second degré, avec le renfort d’un SNETAA en rupture avec la majorité fédérale, le supérieur réussissent des grèves et une manifestation immense en mars 1989.

Les résultats acquis sont considérables et validés par une consultation individuelle des personnels qui donnent mandat avec une majorité des 2/3 au SNES et au SNEP de signer le relevé de décisions qui conclut les négociations.

Pour la direction fédérale, c’est une bérézina en plein printemps.



Ceux qu’elle présentait comme avançant des revendications irréalistes, des incapables d’autre chose que d’agitation stérile, des incapables aussi de réalisme, viennent en un seul mouvement de mettre à bas ce « bel » argumentaire. Ils ont fait triompher des revendications ambitieuses, rassemblé la masse des personnels dans l’action et, comble de l’insolence, signé un relevé de décisions avec le ministre !

Les responsables majoritaires de la fédération, incapables de concevoir un partage des responsabilités à la direction fédérale et dans les syndicats, ils succombent en outre à une analyse aussi primesautière que stupide : « Tout cela est manipulé par les communistes, or le mur de Berlin vient de s’effondrer, donc U & A est « foutu » et nous avons un boulevard pour remodeler le paysage syndical et nous doter enfin d’un mouvement syndical à l’image de ceux qui, en Allemagne et en Angleterre, ont partie explicitement liée avec les partis socialistes ».

Une partie de la direction fédérale, Y. Simbron en particulier, réélu secrétaire général au congrès de Clermont-Ferrand, est d’avis de ne pas passer en force.

La direction du SNI et le secrétaire en charge de la fonction publique, J. P. Roux, s’impatientent et limogent le secrétaire général. Ce « quarteron » de fédéraux nomment Le Neouannic, nouveau secrétaire général (la fréquentation assidue de la CFDT dans un chimérique processus de rapprochement entre le SNI très laïque et une CFDT toujours imprégnée du syndicalisme chrétien, en particulier au SGEN, conduit en effet notre « quarteron » à imiter l’éviction de Kaspar, réélu par le congrès CFDT, de son poste par le bureau confédéral sous la houlette de Nicole Notat).

Mais, le sens de la communication de notre équipe putschiste la conduit à refuser de répondre à une sollicitation d’Europe 1 qui se tourne vers le SNES pour lui donner la parole afin d’expliquer ce qu’il se passe ! Le SNES ne se défile pas…

Dès lors, la mécanique du suicide de la FEN est lancée

C’est l’ éviction du SNES et du SNEP et les réactions en chaîne à cette éviction avec rassemblement autour du SNES et du SNEP de tous les courants de pensée minoritaires et d’un nombre croissant de syndicats.

L’énorme surprise dans ce contexte est l’éclatement du SNI-PEGC qui vient, telle la grenouille, de se croire capable, transformé en SE, de rassembler les enseignants des maternelles, écoles, collèges, lycées et LEP.

Non seulement il a eu les yeux plus gros que le ventre mais il ne va pas résister à l’indigestion. Le SNUIPP se crée à l’initiative d’UA-SNI et d’EE-SNI.

La fondation de la FSU

Sont dès lors créées les conditions de la construction d’une nouvelle fédération, largement inspirée des statuts initiaux de la FEN, allègrement violés par la direction fédérale UID.

Sigle UID surréaliste puisque le U d’unité préside à une scission, le I d’indépendance à un pacte de complicité avec L. Fabius alors en charge de l’éducation au PS et le D de démocratie à une manipulation éhontée des mandats des congrès départementaux.

Rassemblés dans le Comité de Liaison Unitaire, les exclus et les « partants » organisent la création d’une fédération qui se prémunisse par ses statuts mêmes des errements qu’ils viennent de vivre.

Ils sont convaincus en effet de l’impérieuse nécessité du fédéralisme pour créer des lieux de confrontations et de débats qui préservent chacun de l’illusion que l’univers est une simple extension du petit monde qu’il connaît et travailler aux synthèses indispensables pour permettre des actions unitaires de masse.

Il s’agissait donc de réhabiliter le fédéralisme et, vu la triste expérience que tous venaient de vivre, cela exigeait d’associer étroitement les personnels à la construction de la FSU.

D’où des congrès extraordinaires dans les différents syndicats, d’où des statuts soumis au vote individuel des adhérents.

D’où des statuts organisant la participation des courants de pensée au fonctionnement de la fédération.

D’où des majorités qualifiées (70 % sur demande du SNETAA alors que les 2/3 nous semblaient suffisants) afin que les décisions d’action ne soient pas prises à l’arraché mais exigent de gagner la conviction d’une très large majorité afin d’engager réellement la masse des personnels.

Mais surtout, une fédération de syndicats nationaux s’interdisant de nier les mandats donnés par les personnels et se fixant au contraire pour objectif permanent de rechercher les synthèses permettant de sortir par le haut des inévitables contradictions entre secteurs et catégories.

D’où le souhait que dans chaque syndicat, les directions veillent à multiplier la double appartenance des responsables, responsables vis-à-vis de leur syndicat, responsables vis-à-vis de la fédération et en charge de travailler systématiquement à la recherche des synthèses.

Syndicalisme et intérêt général

Au fil des luttes contre la scission puis pour la création de la FSU, s’est renforcée la conviction que le syndicalisme devait disputer aux partis leur prétention à détenir le monopole de la définition de l’intérêt général.

Le nombre de syndiqués dans le pays est considérablement supérieur à celui des adhérents des partis. Le syndicalisme dispose donc d’instruments de mesure des attentes et des besoins de la société d’une qualité tout à fait comparable à celle des partis. Plus nombreux à réfléchir, il serait paradoxal qu’ils soient moins pertinents dans leurs propositions.

Cela exige que le syndicalisme se préoccupe en permanence d’être compris de l’opinion publique, qu’il veille à organiser le débat public.

Cela exige aussi qu’il développe ses capacités d’anticipation pour ne pas se laisser enfermer dans des batailles essentiellement défensives. Il a la responsabilité d’élaborer des propositions, des projets et de les populariser.

Vaste ambition mais l’ambition n’est-elle pas le seul réalisme en matière de formation ?