Une recherche sur le travail militant dans les collèges et lycées
Interview de Jean-Philippe Kunegel
L’an dernier tu as validé un master en Ergologie, ton mémoire portait sur le travail militant des secrétaires de sections d’établissement du SNES (S1). Pourquoi une telle recherche ?
Je me suis interrogé sur le problème de l’activité des S1 du SNES à partir d’un questionnement, d’un constat et d’une « intuition ». Mon questionnement était lié à mon activité professionnelle et militante. En tant que CO-Psy, je ne suis pas nommé en établissement scolaire mais en CIO. En tant que syndicaliste, mon activité et mes mandats ne m’ont pas donné l’occasion de travailler avec les militants de terrain. Je ressentais le besoin de mieux comprendre ce qu’est l’activité singulière des collègues qui acceptent de militer dans leur collège ou lycée. Il est notable que rien, ou très peu, n’a été écrit sur le sujet.
Mon constat était d’une autre nature mais complémentaire. Depuis que je milite au SNES, je suis confronté à un discours qui tend à affirmer que les S1 d’aujourd’hui ne font plus le même travail que leurs aînés, comme s’il y avait eu un âge d’or d’un syndicalisme « presse-bouton » dont les armées de militants relayaient stricto sensu les mots d’ordre venus d’en haut. Or, il faut observer qu’à de rares exceptions près, les cadres syndicaux n’ont qu’une image partielle de l’activité réelles des S1. Je voulais faire le point sur tout cela, participant moi-même à la mise en œuvre des consignes et des injonctions de ma section académique.
Quant à mon « intuition », elle était liée au fait que le SNES et la FSU considèrent qu’il est urgent de se réapproprier les problématiques du travail au-delà de ce que nous savons faire : défendre l’emploi, les salaires, le statut, les retraites… Si nous voulons agir pour transformer positivement le travail de nos collègues, il me semble indispensable de nous interroger en même temps sur notre propre activité de syndicalistes. J’ai choisi de réaliser mon mémoire avec des secrétaires de S1 parce que je souhaitais évaluer comment les outils conceptuels et méthodologiques utilisés pour l’analyse du travail peuvent être utiles pour comprendre l’activité militante, y compris dans le cas où le militant ne bénéficie d’aucune décharge.
En quoi une telle recherche peut-elle être utile pour le SNES et pour la FSU ?
La démarche ergologique part d’une hypothèse forte, issue des recherches en ergonomie : il y a toujours un écart entre le travail tel qu’il est prescrit et la réalité concrète de ce qui se noue dans la singularité des situations de travail. Les normes antécédentes qui encadrent le travail réel, c’est-à-dire le prescrit en tant qu’il est constitué de normes qui ne prennent jamais en considération ni la singularité des personnes dans l’action ni celles des situations elles-mêmes, ces normes antécédentes sont toujours renormalisées par l’Homme au travail. Les renormalisations ne peuvent jamais être complètement anticipées parce qu’elles relèvent de « débats de normes » subsumés dans chaque situation sous un monde de valeurs qui comprend et dépasse celles portées par l’organisation ou les collectifs.
Si l’activité militante des S1 est un travail, cela nous pose des questions de fond. Pour le militant, agir et porter son mandat veut alors dire qu’il ne fait jamais exactement ce que l’organisation attend de lui. Et pourtant, parce qu’elle est « structure structurante » au sens de Bourdieu, l’organisation détient la valeur symbolique permettant de s’y référer et d’agir collectivement. Il y a là un hiatus qu’il convient d’accepter et d’interroger. Si le syndicalisme s’engage dans une démarche d’appropriation de l’activité réelle, cela implique des transformations importantes de la posture syndicale elle-même. Je fais référence à la contribution de Renato di Ruzza dans ce dossier mais aussi au fait que tout cadre syndical observe quotidiennement qu’ils ne peut aller « sur le terrain » en supposant être celui qui sait, qui dit ce qu’il y a à faire. Cela oblige à accepter une position d’inconfort qui nous est souvent éloignée. Pour le dire de façon succincte et lacunaire, admettre les postulats de l’analyse des situations de travail impose de questionner fortement, non pas nos mandats ou nos ambitions, mais la manière dont nous les portons.
A ton avis, quels peuvent être les prolongements de ce travail ?
La prise en compte du travail est certainement un enjeu majeur pour le syndicalisme dont la FSU et ses syndicats sont porteurs. Je l’ai dis, mon sentiment est que cela ne sera possible que si nous sommes capables de nous interroger aussi sur notre propre activité de syndicalistes. L’institut de Recherche de la FSU a, depuis plusieurs années, ouvert un « chantier travail » dont le rôle est incontournable du fait de son apport en terme de conceptualisation des savoirs. Le SNES, le SNUIPP mais aussi d’autres syndicats, par exemple le SNU-Pôle-Emploi, se sont lancés dans une démarche de réflexion et d’action sur ces questions. Il semble donc que les choses bougent à tous les niveaux. Pourtant, je reste persuadé que, si nous voulons avancer, c’est au plus proche des salariés qu’il faut impulser une dynamique. Pour le SNES, c’est certainement à partir d’une réappropriation par les S3 et les S2 qu’il sera possible d’agir.
Consulter le mémoire « Le travail militant dans les collèges et lycées : éléments pour une approche ergologique de l’activité syndicale »
sur le site de l’Institut de recherche de la FSU