En termes d’orientation, les différences socio-spatiales sont majeures, comme le montre le graphique ci-dessous : il s’agit des décisions d’orientation par bassin d’éducation dans l’académie d’Aix, en fin de 3e.
De façon générale, nous pouvons constater une plus grande variabilité entre les bassins en ce qui concerne les Décisions d’Orientation en 2ndeGT et en 2nde PRO/BEP (écart-type respectivement de 4.3 et de 3.8).
En revanche, on constate une plus grande homogénéité entre les bassins dans les décisions d’orientation qui portent sur le redoublement et les CAP. Cependant, les bassins du Vaucluse (Carpentras, Cavaillon et Avignon) ont un taux d’orientation en CAP plus important que la moyenne académique (en moyenne +2.69 points). Est-ce là aussi une conséquence de l’insuffisance de l’offre de formation ?
Par ailleurs, on note que certains bassins Marseille-Littoral-Nord, Marignane-Vitrolles et Arles-Tarascon ont un taux de décisions d’orientation en faveurs de la voie professionnelle par rapport au taux académique qui est en moyenne supérieur de 4.98 points au détriment de la 2nde GT (en moyenne -8.6 points) et des redoublements (en moyenne -1.30 points). La situation la plus critique est celle de Marseille Nord, à comparer sur la courbe avec celle du bassin d’Aix notamment.
A l’inverse, certains bassins ont un fort taux de décisions d’orientation en 2nde GT par rapport à la moyenne académique : Briançon-Embrun et Digne-Sisteron (en moyenne + 8.62 points).
Décisions d’orientation par bassins juin 2010- Académie d’Aix
(Source : SAIO-Rectorat d’Aix)
Ces DO sont en étroite corrélation avec les origines sociales des élèves, si l’on éclaire le graphique des DO par bassin par le tableau des PCS. L’étude des bassins de Marseille Nord et d’Aix est édifiant : 61,6% de défavorisés à Marseille Nord, et 62% de favorisés dans le bassin d’Aix. L’effet se trouve d’autant plus accentué que les établissements publics subissent un effet ghettoïsation renforcé, conséquences de l’homogénéisation sociale grandissante des espaces infra-régionaux et infra -départementaux, aggravée par la libéralisation de la carte scolaire.
Les PCS dans les établissements scolaires publics par secteurs
Académie d’Aix-Marseille
Source : CAP Connaissance Académique Partagée, Site du Rectorat d’Aix-Marseille
*Favorisées a : PCS de niveau cadre, bac plus 3 et plus (Professions libérales – Cadres de la fonction publique
Professeurs et assimilés – Professions de l’information, des arts et du spectacle – Cadres administratifs et commerciaux d’entreprise – Ingénieurs – Cadres techniques d’entreprise – Instituteurs et assimilés – Chefs d’entreprise de 10 salariés ou plus
*Favorisés b : Professions intermédiaires de la santé et du travail social – Clergé – Professions intermédiaires administratives de la fonction publique – Professions intermédiaires administratives du commerce ou des entreprises – Techniciens – Contremaîtres – Agents de maîtrise – Retraités cadres et professions intermédiaires.
*Moyens : Agriculteurs-exploitants – Artisans – Commerçants et assimilés – Employés civils – Agents de service de la fonction publique – Policiers et militaires – Employés administratifs d’entreprise – Employés de commerce – Personnels de service direct aux particuliers – Retraités agriculteurs-exploitants – Retraités artisans, commerçants ou chefs d’entreprise
*Défavorisés a : ouvriers (qualifiés, non qualifiés, agricoles)
*Défavorisés b : Retraités employés ou ouvriers – Chômeurs n’ayant jamais travaillé – Personnes sans activité professionnelle
Note : ce sont les PCS telles qu’enregistrées par chaque établissement au moment de l’inscription des élèves, selon la profession déclarée du chef de famille. On peut noter quelques différences avec les classifications INSEE, en particulier les ouvriers dans la catégorie défavorisée y compris pour les qualifiés, alors que les employés sont dans la catégorie « moyens ».
Il est utile de prolonger l’analyse à partir de ces statistiques, très révélatrices du dualisme social de notre région : des populations favorisées et très qualifiées d’une part, d’autre part, des populations très défavorisées et non qualifiées. On sait que la ghettoïsation des espaces urbains en particulier s’est fortement accrue. Le pourcentage de Rmistes et de chômeurs est très élevé dans les Bouches du Rhône ; il est bien supérieur à Marseille, il atteint des sommets dans certains quartiers, en particulier pour les jeunes sans travail. Et pas seulement les quartiers Nord, mais aussi dans le centre ville. Car le problème c’est qu’ici, comme dans certains quartiers de Nice ou de Toulon, la population défavorisée n’est pas ouvrière, mais le plus souvent au chômage ou inactive.
Dans le département des Bouches du Rhône, des collèges très défavorisés, nombreux, s’opposent à des collèges favorisés, nombreux aussi. Les collèges intermédiaires sont donc plus rares. En somme, la polarisation sociale des quartiers se répercute inévitablement sur les établissements scolaires. Avec à la clé, l’accentuation de l’échec scolaire ou une moindre réussite scolaire : les calculs statistiques du MEN font apparaître dans les taux de réussite (aux évaluations, au bac) la différence entre le taux réel et le taux attendu en fonction des PCS. Ce différentiel est toujours négatif, voire très négatif dans les espaces ségrégués. Il est au contraire très positif dans les départements alpins par exemple. Car, à moyens équivalents, il n’est rien de tel pour assurer la meilleure réussite scolaire de tous les élèves que des publics scolaires mixtes sur le plan social. Or, non seulement l’homogénéisation sociale des quartiers s’accentue de recensement en recensement, mais les politiques scolaires accentuent les polarisations.
Un ouvrage récent démontre la nocivité de quelques poncifs dans l’air du temps [1] . En partant d’une analyse précise de la réalité, les conclusions des auteurs recoupent les comparaisons internationales, qui font apparaître en France un groupe d’élèves de très bon niveau, un groupe de très faible niveau qui a tendance à augmenter, et un groupe « moyen » insuffisant. Les inégalités scolaires sont en nette aggravation (enquête PISA). Le poids exercé par l’origine sociale des élèves est très fort, deux fois plus qu’en Finlande par exemple. Les écarts se creusent. Et peut être le niveau général baisse-t-il, effectivement.
La recherche montre que les inégalités les plus marquées se sont développées depuis 2000 dans les espaces urbains où la concurrence entre établissements a été la plus forte. La politique de désectorisation n’a fait qu’accentuer et accélérer ce phénomène, bien connu de tous les acteurs de terrain. Les établissements favorisés « polarisent les demandes, leurs voisins perdent leurs meilleurs élèves tout en accueillant ceux qui fuient les établissements de secteur populaire, et ces derniers ne conservent que les plus démunis. Les cas extrêmes de dégradation se situent alors dans les établissements et les classes perçus comme des lieux de relégation. (…) Les tensions s’intensifient lorsqu’il devient flagrant que des différences d’origine ou de couleur de peau sont associées aux concentrations des plus démunis socialement et scolairement dans certains établissements et certaines classes ».
Car, dans le cadre de l’autonomie, les politiques publiques prônent les différenciations et la concurrence. Ainsi, au sein d’établissements moyens voit-on apparaître des classes constituées autour d’options – peu importe laquelle : sport, langues…– qui au sein de l’établissement instaure la polarisation. Ces discriminations alimentent alors les ressentiments qui parasitent les relations entre élèves en difficultés et système scolaire, entre les familles et l’école. « Ce qui fait fuir encore davantage ceux qui en ont les moyens ». C’est l’effet « ghettoïsation » qui n’est pas la simple conséquence de la composition sociale des quartiers, mais de l’effet boule de neige « du développement cumulatif des fuites, des stigmatisations », en général accompagné de l’instabilité des personnels eu égard aux conditions particulièrement difficiles devenus alors intenables.
Enfin, dans les départements en sous réussite, tous les enfants réussissent moins bien, qu’ils soient enfants d’ouvriers, d’employés ou de profession intermédiaire, et, à un degré moindre, des catégories favorisées.
Notre région illustre assez parfaitement, hélas, cette démonstration.
[1] Ecole : les pièges de la concurrence. Comprendre le déclin de l’école française, coord. Sylvain Broccolichi, Choukri Ben Ayed, Danièle Trancart, La Découverte, 2010.