Christophe Ramaux est professeur d’université (Université Paris I – Centre d’économie de la Sorbonne).
Il est membre du collectif d’animation des Economistes atterrés.
Il a publié en 2012 : L’Etat social, Pour sortir du chaos néolibéral, Mille et une nuits.
Nous lui avons posé trois questions.
1/ La réhabilitation des dépenses publiques est selon vous une voie essentielle de sortie de crise. Pourquoi ?
La grande crise en cours est celle du capitalisme néolibéral. Celui-ci repose sur la libéralisation financière, le libre échange, l’austérité salariale et la contre-révolution fiscale. Tant que ces volets ne seront pas remis en cause, la crise n’en finira pas. Plus positivement, c’est l’Etat social au sens large qu’il importe de réhabiliter et donc la dépense publique. Celle-ci s’élève à 1100 milliards d’euros. Mais elle est utile pour la justice sociale et indispensable pour l’économie. La moitié de cette dépense (580 milliards) est constituée de prélèvements qui sont immédiatement restitués aux ménages sous formes de prestations sociales en espèce (retraite, chômage, allocations familiales, etc.) ou en nature (médicaments, consultation de médecine libérale, allocation logement…) : cela soutient une bonne part de leur revenu et donc leur consommation privée. L’autre moitié sert essentiellement à payer le travail productif des fonctionnaires. La contribution au PIB de ces derniers, on le sait trop peu, représente un tiers de celle des sociétés non financières (330 milliards contre 1000 milliards en 2011). Les services publics non-marchands (éducation, hôpital, justice, etc.) sont délivrés gratuitement, mais il faut bien les payer ! C’est le rôle de l’impôt. Le FMI vient enfin de le reconnaître : la dépense publique étant productive, sa baisse provoque la récession.
2/ Pourquoi en appeler à une théorisation de l’Etat social ?
Dans les années 1970 et 1980, lé néolibéralisme a d’abord gagné la partie dans les têtes. Il est clairement en crise aujourd’hui. Mais le défaut d’alternative cohérente bloque la contre-offensive. Or cette alternative est déjà là, avec l’Etat social. On le réduit trop souvent à la protection sociale. On oublie ses trois autres piliers : les services publics, le droit du travail et les politiques économiques (des revenus, budgétaire, monétaire, commerciale…) de soutien à l’activité et à l’emploi. Pris ainsi au sens large, l’Etat social est une véritable révolution. A y bien réfléchir, nous ne vivons pas dans des économies de marché, mais avec de l’initiative privée et de l’intervention publique. Dit autrement, nous ne vivons pas dans des économies monocapitalistes. Le capital domine, mais il ne surdétermine pas la totalité sociale, même en dernière instance. Le capital l’a parfaitement compris pour sa part : des sphères entières lui échappent : les services publics, la protection sociale… Le socialisme, c’est maintenant ! Nous n’avons pas saisi l’ampleur de la rupture portée par l’Etat social et partant ses potentialités émancipatrices. Pourquoi ? La responsabilité des théories économiques est en cause. Mais la principale théorie critique du capitalisme, le marxisme, est aussi responsable. On ne peut penser l’Etat social, si l’on pense que l’Etat n’est, au fond, qu’un Etat capitaliste ou bourgeois. Comment progresser ? Au fondement de l’Etat social, il y a l’idée que l’intérêt général n’est pas réductible au jeu des intérêts particuliers. Cela suppose, à nouveau, de considérer que la lutte des classes, pour être essentielle, ne surdétermine pas tout.
3/ Comment penser un nouvel âge pour l’Etat social, le démocratiser ?
Les chantiers ne manquent pas. Combler les trous tout d’abord : 10 % de la population vit de minima sociaux (RSA, ASS, minimum vieillesse, AAH…) qui sont d’un montant indigne (moins de 1 % du PIB au total). Embrasser de nouveaux champs ensuite : l’écologie doit être la nouvelle frontière de l’Etat social. Elle suppose des investissements publics massifs (rénovation thermique des bâtiments, transports collectifs, relocalisation de production…). La démocratie, le suffrage universel, est le fondement proprement politique de l’Etat social. Mais à l’instar du pouvoir politique, ce dernier est soumis au risque permanent de bureaucratisation. Un risque incontournable à bien des égards : gare aux solutions miracles à ce niveau donc. La démocratie représentative est à la fois précieuse et indépassable. L’enjeu est de la revivifier en permanence.