Quelle orientation dessiner en matière de formation, de recherche et d’innovation, de développement économique et d’emploi ? Suivre les préconisations du rapport Gallois et décentraliser, ou tracer la voie d’un nouveau système productif et social fondé sur l’action publique, le service public et les solidarités collectives ?
« Compétitivité » insuffisante : la faute au coût du travail, à la formation et à l’orientation ?
Il faudrait, nous dit-on, flexibiliser le marché du travail, diminuer le coût salarial, baisser la dépense publique car l’impôt ne doit pas nuire inutilement au taux de profit. Pour ramener les salaires et les services publics au niveau des pays aux plus faibles coûts ? Il faudrait aussi adapter étroitement les formations aux seuls besoins à court terme tels qu’exprimés par les entreprises sur le plan local. Erreur manifeste : par nature, nulle entreprise ne peut exprimer son offre d’emploi et ses besoins de qualification à trois ou cinq ans, le temps moyen d’une formation initiale. C’est une des causes essentielles de l’ « introuvable adéquation formation emploi ». Suffirait-il alors pour résoudre le problème du chômage d’ « orienter » jeunes, chômeurs et salariés vers les formations en adéquation avec les emplois existants, car il y aurait 600 000 emplois non pourvus par an ? Le service public d’orientation deviendrait ainsi le bras armé d’une adéquation formation-emploi enfin trouvée et telle que rêvée par le MEDEF. Un vieux rêve au fond : celui d’une main d’oeuvre docile, qui accepterait de s’« orienter » vers tous type d’emplois y compris ceux sans qualités – à temps partiel, saisonniers, mal payés, aux conditions de travail d’un autre âge… Serait-ce une caricature du débat actuel sur le sujet ? hélas non : il suffit de se reporter aux textes et aux déclarations du gouvernement ou des Régions .
Mieux y réussir avec la décentralisation ?
Car de leur côté, les Régions revendiquent sinon la résolution du problème, du moins du pouvoir : le pilotage du développement économique et de la « chaîne orientation-formation-emploi » est leur objectif. Au nom de la logique des « blocs de compétence » et de la suppression des doublons, au nom du bon sens et de l’efficacité de la proximité probablement, le chef de l’Etat leur donnerait volontiers satisfaction, au moins sur l’orientation et la formation. Au risque de faire éclater le service public d’éducation et toute ambition d’élévation des qualifications dans notre pays. Ce serait en cohérence avec les logiques que sous tend l’école du socle puis les 50% au niveau licence dans un processus bac moins 3 – bac plus 3. La moitié des jeunes iraient au lycée général où la voie technologique aurait disparu, et les autres rejoindraient les dispositifs régionaux : apprentissage, formation continue, lycées professionnels et agricoles. Ces derniers en effet ne tarderaient pas à être décentralisés, si l’Etat abandonnait aux Régions la carte des formations. Le second degré serait alors totalement éclaté, et les passerelles d’une voie à l’autre rendues impossibles. On pourrait par contre mixer à l’envi les publics scolaires, apprentis et en formation continue dans les établissements devenus régionaux, ou encore permettre à tous les organismes privés de formation d’utiliser les plateaux techniques des lycées. Nul doute : le patronat est déjà en ordre de marche pour imposer ses solutions, ses formations, la priorité à l’apprentissage dans les 26 Régions.
Construire un autre rapport de forces
Elever les qualifications des jeunes comme de la population active constitue une des réponses essentielles à la réindustrialisation dans le cadre d’un développement économique nouveau, fondé notamment sur la transition énergétique et écologique. Le problème est que les forces dominantes ont une longueur d’avance sur le salariat : elles ont assez bien saisi le rôle déterminant de la connaissance, des qualifications et des compétences des salariés dans le système productif, tout en refusant d’en payer le prix. Ce qu’elles ont assez bien réussi à faire grâce aux méthodes néomanagériales de gestion et à l’individualisation des salaires, mais aussi grâce au dumping salarial (entre pays, ou entre salariés et chômeurs, grâce au volant de chômage existant depuis 30 ans), et en utilisant les diplômés que le système éducatif a su produire , sans jamais reconnaître ni leurs qualifications, ni les qualifications réelles des postes de travail.
Comment inverser ce rapport de forces ? Par l’action forcément, ce qui ne peut que passer par un rapprochement avec d’autres organisations syndicales et en particulier la confédération CGT, pour travailler ces sujets et construire des alternatives et des ripostes communes. Parmi ces alternatives, il y a la sécurité sociale professionnelle forcément, et donc de nouveaux droits pour les jeunes et les salariés en matière de formation, d’orientation et de droit du travail. Pour permettre à ces droits de s’exercer, il faut améliorer les services publics existants, celui de l’éducation et de l’emploi, et non les détruire. Rendre l’action publique plus efficace ne passe ni par la balkanisation, ni par des décisions résultant d’un subtil équilibre entre les différents lobbyings existants. En France, le concept d’intérêt général n’a jamais correspondu à la somme des intérêts particuliers.
Josiane Dragoni, 22 novembre 2012
1. V. Peillon à Lille, dépêche AFP du 16 novembre.
2. Rapport Gallois, Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, déclarations multiples sur la relation formation-emploi, sur le rôle de l’orientation…
3. Le système éducatif en effet a réalisé un véritable bond en avant, notamment dans les années 1985-1995 où il a doublé en 10 ans le nombre de bacheliers. Le nombre et la qualité des emplois n’ont pas suivi, reléguant les non qualifiés à la queue de la file d’attente des chômeurs. Avancer aujourd’hui suppose une double réponse : pour l’école, éradiquer les sorties sans qualifications ; pour le système économique, créer le nombre d’emplois qualifiés et de qualité nécessaire. Ce sera possible quand on aura abandonné les politiques d’austérité.